Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE |
LE PORT LOUIS d'après Michel Adgé |
Au débouché de la rigole de la plaine à l'entrée de Revel sur la route de Soréze il existait avant la construction de la piscine actuelle un bassin de retenue d'eau dont la hauteur était maintenue constante par les vannes encore existante de nos jours. Ce bassin artificiel était Port Louis. C'est de ce bassin qu'étaient chargées des barques à fond plat qui descendaient la rigole vers le seuil de Naurouze pour transporter des marchandises diverse.
Cette activité à été presque tout de suite concurrencée par la route
(voir les articles complémentaires)
Lien vers Port Louis - Patrimoine - MOULIN DU ROI:
Lien vers Revel en général - la circulation sur la rigole
Après Saint-Ferréol, le Port-Louis, primitivement appelé Port Saint-Louis, fut l'un des ouvrages les plus originaux des premières années du Canal.
L'agrandissement de la rigole de la Plaine et la construction d'écluses pour la rendre navigable conduisaient tout naturellement Riquet à construire un port à Revel, qui devait être dans un premier temps le terminus de cette navigation, avant d'envisager de la prolonger jusqu'à Castres.
C'était alors ce que j'appelle les années heureuses des travaux du Canal, et Riquet pouvait rêver. Et il rêva effectivement, puisqu'il conçut pour Naurouze un projet grandiose qui ne fut jamais réalisé, alors que Revel fut la seule ville à être véritablement dotée d'un port digne de ce nom.
Il n'avait cependant pas été prévu dans les projets initiaux. Il faut en effet savoir qu'à l'origine, la rigole ne devait pas passer près de Revel. Trompés par des erreurs de nivellement en amont de Moncausson, les experts de la commission de 1664 avaient décidé de prendre l'eau du Sor au moulin du Purgatoire, donc assez en amont du Pont-Crouzet.
Les commissaires partis, Riquet revint l'année suivante à son idée primitive.
A partir du 13 août 1665, la rigole d'essai étant pratiquement achevée dans la montagne, les ouvriers venaient à Durfort commencer celle de la plaine. On est de prime abord étonné par le choix du lieu.
C'est que l'on a ignoré jusqu'à présent que Riquet avait commis les mêmes erreurs, et que dans son premier projet, il avait décidé de prendre l'eau bien plus haut encore que les commissaires, afin d'être sûr d'avoir une pente suffisante. Et c'est ainsi que le captage du Sor se fit à quelques centaines de mètres en aval de Durfort, au moulin de Teisseire, martinet à cuivre que je crois pouvoir identifier avec les ruines actuelles de celui du Grazol.
La rigole d'essai passait ensuite à flanc de coteau au dessus de la Pouticarié, de la Pergue, des Caussinières, donc bien plus haut que la rigole actuelle. Puis, elle devait rencontrer la route de Carcassonne juste avant le premier tournant, continuer à travers les vignes de Revel, passer au niveau de Thuriès contre la métairie du Milieu, pour redescendre rapidement derrière le château de Moncausson et rejoindre le Laudot près du vieux moulin.
Elle redescendait ensuite en bas de l'Emmaurel, et rejoignait la rigole actuelle vers l'Encountié, en un lieu que Riquet nomma par la suite le « cap de Bon-Amour ».
Ce fut sans doute la mise en eau qu'il fit vers le 20 octobre 1665 qui lui montra enfin qu'il avait plus de pente qu'il n'était nécessaire, et qu'il pouvait prendre l'eau du Sor plus en aval.
Et pouvait-il trouver mieux que la vieille rigole qui alimentait Revel depuis la création de la bastide en 1342, et qu'il lui suffisait de prolonger vers la plaine du Lauragais .
Ce choix ne présentait que des avantages.
Il laissait en amont tous LES_MOULINS de la vallée du Sor, de Pont-Crouzet à Durfort, dont il aurait fallu indemniser les propriétaires à cause de la diminution du débit de la rivière que l'alimentation du Canal aurait entraîné.
En dehors d'un ou deux autres en aval de Pont Crouzet (que j'ai oubliés), le seul dont la nouvelle rigole devait léser les intérêts n'était autre que Riquet lui-même, alors propriétaire des six moulins de Revel, quatre à blé et deux à foulon, dont il sut d'ailleurs se faire indemniser par le roi pour le chômage auquel ses propres travaux les avaient condamnés.
Le creusement de la rigole définitive fut commencé à Naurouze le 10 janvier 1667. L'absence d'indication de lieu dans la plupart des contrôles des mois suivants nous empêche de connaître la progression exacte des travaux de la rigole de la Plaine, mais il est très vraisemblable que dès avant le mois de mai, on travaillait près de Revel. Durant toute l'année 1667, les ouvriers creusèrent la rigole, et l'année suivante il ne restait pratiquement à finir que les passages de la tranchée des Cassés et du Grand Travail de Saint-Paulet, dont la difficulté impressionna tant les voyageurs qui en virent les travaux. La vieille rigole de Revel, quant à elle, ne semble pas avoir nécessité d'aménage-ment particulier, si ce n'est celui de la prise de Pont-Crouzet.
Ce fut dans la première semaine du mois de mai 1668 que Riquet fit de premiers essais de navigation entre Revel et Naurouze, accompagné de l'archevêque de Toulouse Mgr d'Anglure, des évêques de Comminges et de Saint-Papoul, et de l'intendant Bezons. Ce premier succès le détermina à élargir la rigole, et à y faire construire des écluses légères. En attendant de pouvoir retrouver un jour le détail de ces travaux, je citerai seulement quelques-uns des hommes qui y travaillèrent : Pierre Cavalier, fils de Jean Cavalier, le géographe d'Agde ; Dominique Gilade, qui vint pour la première fois travailler au Canal, avant d'en devenir deux ou trois ans plus tard l'un des deux plus importants personnages après Riquet ; François Andréossy, excellent topographe, que nous allons retrouver plus loin ; et plus modestement, une foule de travailleurs de Vauré, Revel, Dreuille, Saint-Paulet.
De tous ces humbles dont le nom était resté enseveli dans l'oubli de l'Histoire, les listes que j'ai dépouillées nous en montrent par exemple qui vinrent de Revel dans la compagnie de Marret le lundi 7 mars 1667 et les jours suivants, et dont certains patronymes diront sans doute beaucoup aux Revélois : Alexis et Antoine Impérial, Jean Fontes, Pierre Pastre, Arnaud Louis, Jean Vessiere, Abel Berthoumieu, Berthoumieu Limouzy ... (1)
La décision de naviguer sur la rigole de la Plaine entraînait tout naturellement la construction d'un port près de Revel. Mais on en saurait bien peu de choses si l'on se contentait des documents déjà connus. Le classement sommaire des pièces comptables m'a déjà donné quelques repères. Le creusement du bassin dut être exécuté en 1668, et les maçonneries au printemps de l'année suivante. Au mois de mai 1669, trois trasseurs de Dreuille (c'est à dire des carriers), François Augé, Pierre Ponti, Pierre Cause, fournissaient les quartiers de pierre pour la construction des quais, le dernier nommé s'étant cassé un bras dans ce travail (2) .
Le bassin devait être en voie d'achèvement deux mois plus tard, quand Riquet écrivait à Colbert : « Jay fait un port a Revel de pierre de taille » (3).
Nous pouvons avoir une idée assez précise de ce que fut le Port-Louis au moment des travaux grâce à plusieurs plans et descriptions, ce qui est exceptionnel.
Parmi les rarissimes dessins de la période du chantier qui ont été conservés figure un plan d'Andréossy, dont certaines explications de la légende laissent entendre que le projet n'était pas encore réalisé : quand on lit par exemple que le bassin « recevra les eaux de la montaigne noire », on en déduit qu'il n'était pas encore en eau. Ce dessin doit donc dater de 1668, ou de la première moitié de 1669. Il constitue la toute première représentation du Port-Louis, et la légende qui l'accompagne est aussi sa plus ancienne description (4).
Avant son arrivée dans le bassin, la rigole venant de Pont-Crouzet se divisait en deux branches, dont chacune aboutissait à l'un des angles du côté est. Leur débouché s'y faisait par deux chaussées ou paissières qui en écrêtaient les eaux, évitant l'entrée des sables dans le port. A la tête de cette bifurcation, une martelière formée de trois piles de maçonnerie garnies de rainures devait assurer la régulation des eaux. Les deux branches devaient servir alternativement, l'une étant en service pendant que l'on dessablait l'autre.
La légende de cette partie du dessin a été en partie effacée, mais on peut en reconstituer les grandes lignes. Les portes de fermeture semblent avoir été formées de deux panneaux rectangulaires liés ensemble et disposés en équerre, et pivotant dans la pile centrale de façon à obturer soit l'une, soit l'autre des deux branches. L'île triangulaire que ces dernières délimitaient devait être décorée de deux rangées d'arbres, et d'une pyramide en bordure du bassin.
1- On restituera les accents que le document ne m'a pas donnés.
2- "a francois auge pierre ponti et pierre cause trasseurs de drulie 30 It [livres] pour 16 canes pierre de taille quils ont trasse et porte au port louis pour seruir a la couuerture du port ou six liures accordees aud' cause pour sestre ronpeu vn bras aud' traual" (Arch. du Canal, liasse n° 1187, pièce n° 5).
3- Lettre de Riquet à Colbert du 16 juillet 1669.
4- Arch. du Canal, liasse n°576, pièce n°1.
Celui-ci était de plan carré. Les documents sont assez discordants pour ce qui concerne les dimensions des côtés, qui varient selon les auteurs de 20 à 22 toises (39 à 42,88 m) (5). Il en est de même de la profondeur, pour laquelle Riquet donne 9 pieds (2,92 m), et Froidour dix à douze (3,25 à 3,90 m, ce qui paraît excessif). Les murs de quais étaient en pierre de taille et mesuraient huit pieds d'épaisseur. Des trois escaliers prévus en 1668 et qui permettaient de descendre dans le bassin, deux seulement furent construits, sur les côtés nord et ouest (6).
Même s'il n'est
qu'un projet, ce dessin d'Andréossy de 1668 est cependant le meilleur
document qui puisse nous donner une idée fidèle du bassin achevé, à
l'exception de quelques détails, nous venons de le voir. On peut en
effet le comparer avec les descriptions de quelques contemporains des travaux que je viens de
mentionner: Riquet tout
d'abord qui, répondant à une série de questions que lui posait
l'intendant Bezons en 1670 sur l'exécution du Canal, rédigea ce qu'il
appela le Catéchisme du Canal (7) , qui est donc un document de première main. Nous avons ensuite la relation de
Gaumon, qui visita les
travaux à la fin de cette même année 1670, puis celle que Froidour
publia en 1672, et enfin
quelques lignes d'Andréossy encore dans ses Règles du jeu du canal Royal en 1682, et de l'intendant d'Aguesseau dans
son Procès-Verbal de 1684.
L'un des principaux intérêts de la relation de Froidour réside dans le dessin qui l'accompagne, et dont l'original est également d'Andréossy. On y retrouve les grandes lignes de celui de 1668, mais avec une certaine sobriété, qui est peut-être due au graveur. La martelière n'y est pas représentée, ni les arbres, ni l'obélisque, ni les escaliers. Le départ de la rigole au côté sud forme un angle qui paraît davantage dû au manque de place pour le dessiner, qu'à une disposition réelle.
Il faudrait voir si le dessin original qui a servi au graveur se trouve
dans le manuscrit 603 de la Bibliothèque Municipale de Toulouse, comme
c'est le cas pour ceux de Saint-Ferréol.
Dès 1669 ou 1670, une première modification fut apportée à ce dispositif par la construction du moulin du Roi.
On sait que les
eaux dérivées du Sor devaient être en priorité réservées pour
la navigation, mais il y avait aussi l'ancien privilège de la bastide
pour l'alimentation de laquelle la rigole avait été primitivement établie. On
réserva une prise d'eau de huit pouces
de côté (21,6 cm) dans la paroi de la rigole pour l'usage des fontaines.
Mais si
c'était suffisant pour alimenter celles-ci, cela ne l'était plus pour
six moulins de Revel, qui étaient à l'aval, et qui furent donc condamnés
à un chômage définitif.
Riquet
cependant ne pouvait manquer
d'utiliser à son profit les eaux du Canal là où la pente le permettait.
Celles de l'ancienne rigole se trouvant à leur arrivée à un niveau supérieur à
celui du Port-Louis, il en profita pour faire construire sur un terrain
appartenant au consulat un nouveau bâtiment qu'il dédia au
Roi, et auquel fut transférée la banalité des quatre moulins à blé (du
chômage desquels, nous l'avons vu plus haut, il se fit dédommager).
Ce moulin, qui pouvait utiliser la totalité des eaux de la rigole de la Plaine sans nuire à l'alimentation ni de Revel, ni du Canal, avait de son aveu un produit équivalent aux quatre autres. Il fut doublé en 1673 d'un moulin à scie, qui servit aussitôt aux travaux du Canal (8).
Une recherche plus fine dans les pièces comptables
permettra plus tard de mieux connaître l'histoire de sa construction, ce
qui compensera la rareté des documents ultérieurs
5- Cette dernière mesure est celle que donne Riquet dans le Catéchisme du Canal. C'est celle que j'ai adoptée pour les reconstitutions sur le terrain.
6- Je me fie pour ce détail à la description d'Andréossy de 1682, qui est la plus précise. 7- Arch. du Canal, liasse n° 13, pièce n° 2, question n° 5.
8- « Il a [le port-Louis] à une de ses faces, un moulin à Blé et un à scié » (Andréossy 1682, p. 21). Voir aussi dans les références d'archives.
9- Voir en fin de cet article les références d'archives correspondantes. Après la construction, le premier document qui a été conservé ne date que du 30 décembre 1743 (Liasse n°528, pièce n°34). Il concerne le rétablissement des cloisons du logement du meunier, qui avaient été abattues pour éviter la surcharge du plancher.
fig. 3 : Représentation du port-Louis, du moulin du Roi (ancien Moulin de M' de Caraman ») et des environs vers 1740. On remarque de bas en haut : la dérivation de la rigole au sud du port ; la maison Loiseau ; la « prise de la Fontaine de Revel »; l'épanchoir ; le premier des moulins abandonnés sur la rigole de Revel (« ancien Moulin de M' de Caraman »). A droite, détail agrandi (Le nord est en haut. Extrait du recueil des plans des rigoles, Arch. du Canal, non coté).
Le
port-Louis perdit rapidement son utilité avec l'abandon de la navigation
sur la rigole de la Plaine, déjà effectif en 1684 (10)). Cela veut-il
dire qu'il ne servit à rien ? Riquet l'utilisa au moins pour les travaux
du Canal. On trouve plusieurs mentions dans les années qui suivirent sa
construction, d'expéditions de bois abattus dans la montagne ou sciés au
nouveau moulin, et qui furent acheminés jusqu'à Naurouze avec d'autres
matériaux.
Mais par la suite, le bassin dut se dégrader assez rapidement, au point
que tous les dessins postérieurs au XVlle s. le figurent dans un état de
plus en plus méconnaissable.
La première représentation du port et de ses environs
se trouve dans un recueil de cartes des rigoles, qu'à défaut d'autre
indication je date à l'estime des environs de 1740 (ci-dessus).
Malgré sa petite taille, le dessin en est relativement précis. Les murs
nord et ouest sont bien représentés, ainsi que l'angle de ce dernier
avec le mur sud et le départ de la rigole, dont l'irrégularité des bords
semble attester un défaut d'entretien. Le mur ouest comporte en son
milieu un échancrure qui pourrait être un ancien escalier. La sortie de
l'épanchoir donne dans une large fosse en communication avec un
ruisseau, dans lequel débouche aussi plus en amont la « prise de la
Fontaine de Revel ».
Le moulin du Roi est figuré sur l'emplacement de
l'ancienne bifurcation des deux rigoles, dont celle du sud n'existe
plus. On reconnaît peu en amont l'épanchoir et le reversoir du moulin,
ouvrages remaniés au XIXe s., puis à une époque bien plus récente. Le
tracé de la dérivation qui en part pour alimenter la rigole est
pratiquement identique à l'actuel, en particulier avec son élargissement
au droit de l'épanchoir et son cours d'aspect naturel, comme s'il avait
été fait par la force des eaux un jour où une crue de la rigole aurait
fait crever le terrier en amont du moulin. Enfin, on note près du bassin
une maison nommée « Loiseau », à l'emplacement de celle où, selon
Andréossy, on construisait les barques en 1668.
Après ce plan, on en trouve un autre à une meilleure
échelle, qui doit dater des environs de 1750, et dans la légende duquel
il faudrait une bonne dose de confiance pour l'attribuer au Port-Louis,
si nous n'avions pas le précédent pour nous y préparer (ci-après).
10- «Nous avons observé en la suivant que pour la rendre
navigable on y avoit construit vingt-quatre petites écluses ou sas qui
arrëtoient ses eaux dans les endroits où elles ont trop de rapidité ;
mais ces écluses sont pour la plupart ruinées ; ledit Gilade nous ayant
dit qu'on les a abandonnées, parce que l'expérience a fait connoiîre que
l'on n'y sauroit établir une navigation sans y arrêter les eaux
au-dessus des écluses, ce qui nuiroit à la navigation du Canal, auquel
la rigole cesseroit par ce moyen de fournir les eaux nécessaires qu'il
faudroit souvent perdre par des épanchoirs ; que néanmoins
l'élargissement que l'on a fait de ladite rigole est d'une grande
utilité au Canal, auquel elle fournit plus d'eau à cause de sa double
largeur, de quoi le P. Morgues a convenu. »(Procès-verbal de réception
du Canal par d'Aguesseau, in La Lande, p. 150).
On y reconnaît à grand peine l'ancien bassin presqu'à
demi ensablé, au point qu'une petite île s'est formée vers le côté
ouest, toute la partie est disparaissant complètement sous les
atterrissements. La branche sud de la rigole a entièrement disparu. Ce
plan est un projet de construction d'un mur courbe en remplacement des
deux murs d'équerre de l'angle sud-ouest, ce qui fut effectivement
réalisé, et contribua à rendre le bassin encore plus méconnaissable. Et
tous les plans que l'on possède depuis lors, le plan de bornage, tous
ceux du XIXe s. montrent ainsi un ensemble difforme, qui ne rappelle en
rien la belle ordonnance de 1668, au point que l'on se demande si les
dessins d'Andréossy n'ont pas, comme bien d'autres, représenté une idée
chimérique plutôt que la réalité. Ce n'est pas l'état actuel des lieux
qui pourrait démentir cette impression.
fig. 4: Plan du Port-Louis, vers le milieu du XVIIIe s. probablement. Le nord est en bas (Arch. du Canal, liasse n°576, pièce n°2).
fig. 5 : L'épanchoir de l'angle nord-ouest du Port-Louis. A droite au sol, un décamètre tendu matérialise l'ancien tracé du quai ouest (son image au loin a été renforcée pour qu'elle soit plus visible). L'extrémité correspondant aux 22 toises est au delà des arbres (1 octobre 1996).
Et pourtant, une visite que j'y ai faite le premier
octobre 1996 en compagnie de Monsieur Michel Verrot, Architecte des
Bâtiments de France, nous a permis en quelques coups de décamètre de
retrouver au sol des indices de l'état primitif. Il faut partir de
l'épanchoir, situé dans l'angle nord-ouest, et dont certaines pierres
accusent encore un travail du XVllle s.
Une longueur de 42,88 m (les 22 toises données par
Riquet) mesurée sur le côté nord nous amène à une limite du cadastre
perpendiculaire au quai, marquée sur le bord de la rigole par un ressaut
des maçonneries, et qui semble bien être une rémanence de l'ancien quai
est. Sept mètres plus loin, le seuil dans le radier de la rigole juste
en aval de l'ancienne prise d'eau de Revel rappelle les paissières
d'Andréossy de 1668. Ce n'est sans doute plus l'ouvrage d'origine, mais
la fonction semble être restée à cet endroit.
Plus loin encore, le premier angle du bâtiment du
moulin du Roi a été mesuré à 132,67 m de celui de l'épanchoir du bassin,
ce qui est un peu court pour les soixante toises que donne Froidour pour
la distance de la bifurcation au bassin (il faudrait 60+22 = 82 toises,
soit 160 m), mais il donne cette mesure pour approximative. Il est vrai
aussi que nous n'avons aucune indication sur l'implantation exacte du
moulin par rapport à la bifurcation.
On revient sur le côté ouest. Une fois averti, on
reconnaît dans le mur courbe qui prend naissance à deux mètres de
l'épanchoir, le projet du dessin du XVllle s. En tendant le décamètre
dans l'alignement de l'angle de l'épanchoir (page précédente, fig. 5),
on reporte facilement sur le terrain les 22 toises données par Riquet
(42,88 m), ce qui permet de retrouver l'emplacement de l'ancien angle
sud-ouest du bassin en dehors du bosquet de pins, sur la chaussée.
Mais il y a plus. On remarque un peu plus loin sur le
trottoir une borne carrée à l'angle nord-ouest du grand bâtiment dont la
façade longe la rigole, puis une autre en allant vers la rue Roquefort.
Plus au nord, une autre se trouve en bordure du petit
bois de pins en avant de l'ancien château d'eau. Ce sont des bornes de
délimitation du fief du Canal. Mais l'emplacement de la seconde paraît
insolite (fig. 6) : éloignée de la rigole actuelle de près de vingt
mètres, on se demande pourquoi elle est ainsi isolée au milieu d'un
trottoir. Une mesure la montre à 11,65 m de l'ancien angle du bassin que
le décamètre a permis de retrouver, soit pratiquement six toises (11,69
m), la limite du fief.
Le report des différents plans les uns sur les autres
après qu'ils ont été ramenés à la même échelle confirme cette
restitution (fig. 7, ci-dessous) : celui de 1668 peut se superposer à
celui du XVllle s., et tous deux peuvent également être mis en
coïncidence avec le plan cadastral actuel, les bâtiments du moulin du
Roi se plaçant à la bifurcation des rigoles (fig. 8).
fig. 8 : Report des principales lignes du
plan cadastral actuel sur celui de 1668 (le nord est en bas)
On voit combien trois siècles de dégradations profondes de
l'ouvrage ont encore laissé au sol des traces intelligibles.
Il reste encore un indice bien troublant. Ce sont les
deux grands bâtiments en équerre actuellement en partie aménagés en
habitations, qui se trouvent à l'emplacement de constructions de
disposition semblable figurés sur le plan de 1668 sous la légende «
Maison ou Ion trauaille aux Barques », et notés « Loiseau » sur celui
que je date d'environ 1740.
Ils ont été certainement remaniés depuis le XVllème
siècle, mais il serait intéressant de voir s'il est encore possible d'y
retrouver des éléments qui pourraient remonter à la construction du
Canal.
fig. 9: La « Maison ou Ion trauaille aux Barques », * extrait du
plan de 1668 (le nord est à gauche)
L'ensemble formé par le Port-Louis de Revel et le
moulin du Roi, auquel il est étroitement lié, constitue l'exemple le
plus flagrant de la distance qui existe entre le sentimentalisme que
l'on manifeste depuis longtemps pour l'ouvrage de Riquet, et le peu de
cas que l'on en fait dans la réalité quotidienne.
Ces ouvrages, dont l'origine remonte authentiquement à
Riquet au même titre que le barrage de Saint-Ferréol, sont aujourd'hui
encore constamment cités lorsqu'on évoque l'histoire de Revel et du
Canal. Mais quand on est sur le terrain,
on constate combien ce sentiment n'est jamais passé dans les faits, au
point qu'il est impossible au premier abord d'en reconnaître les
vestiges sous les
aménagements modernes, et qu'il faut une bonne connaissance de leur
histoire pour arriver à comprendre les quelques traces que l'on peut en
voir, tellement en effet ils ont souffert de modifications malheureuses
et désordonnées dès le XVllle s., et jusqu'à maintenant.
Me sera-t-il permis pour terminer d'émettre un vœu ? Si
l'engouement actuel pour le Canal ne reste pas à l'avenir aussi
superficiel qu'il me le paraît, ne pourrait-on penser au projet, à
longue échéance peut-être, et si la chose devient un jour financièrement
et matériellement possible, de rendre son ancien aspect à ce qui fut
pendant quelques années l'une des gloires de Revel ?
On l'a vu, le terrain présente encore suffisamment de
vestiges pour que la chose soit envisageable. Mais en attendant, il faut
veiller précieusement à les conserver, en particulier le plus vulnérable
peut-être, la borne qui témoigne encore, isolée sur un trottoir, de son
ancienne forme.
fig. 1: Dessin du Port-Louis de 1668 ou 1669, par François Andréossy. Le nord est à gauche. De bas en haut : le bassin carré, avec le départ de la rigole à droite ; le débouché des deux rigoles avec les paissières HH; l'île triangulaire formée par les deux rigoles, avec l'obélisque et les deux rangées d'arbres ; la martelière, et l'arrivée de la rigole venant de Pont-Crouzet. En bas à droite, la « Maison ou Ion trauaille aux Barques ». A gauche, le « Chemin de Reuel a Carcassonne », et au dessus, le détail de la martelière avec sa légende à demi effacée (Arch. du Canal, liasse n°576, pièce n°1)
Michel ADGÉ
(23, r. d'Assas, 34300 Agde, Hérault)
DOCUMENTS : anciennes descriptions du port-Louis
D1 - 1668-69. Légendes du dessin d'Andréossy (Arch. du Canal, liasse n°576, pièce n°1).
Explication du Plan
A. le Port de vingt toises en quarré reuestu de Pierre de Taille auec des desgréz aux endroits B. receura les eaux de la montaigne noire paria Rigolle C depuis la Riuiere de Sor. lusques à D ou elle se diuisera en deux branches par les deux martellieres marquéés de rouge et dont le dessein est en grand pour tomber dans le port par dessus les pessieres ou chaussééz H. qui seront faites Pour retenir les sables, ses deux branches seruiront l'une apres l'autre ; lorsque E sera rempli de sable on ouurira a F pour oster les sables de E. et ainsi de lun a lautre pour auoir tousiours de leau dans le Port qui en fournira dans le canal G. de deriuaon' qui portera les Barques au Poinct de partage.
DESSEIN de deux Martellieres
Explication
[A B C sont trois Pilles d'une] Bastisse pour Tenir les deux/ [portes? D et E? ?? Joinctes? ] ensemble en angles droitz ou /17 l'esquierre, affin q'en abattant la /[? porte E dans] l'entaille de la pille c. la porte /[D se lève ??] [Le texte entre crochets est un essai de reconstitution de la partie effacée]
D2 - 25 avril 1670. « Catéchisme du Canal » (Questions de l'intendant Bezons, réponses de Riquet) (Arch. du Canal, liasse n°13, pièce n°2).
[Question n°5] Qu'elle est la forme et la construction du port Louis prés de Reuel
[Réponse] C'est un bassin quarré, basty de bonne pierre de taille, de neuf pieds de profondeur, et de 22 toises de chaque fasse, faisant en tout 88 toises ou l'on dessend au moyen dun grand degré.
[Question n°6] Qu'elle est la largeur, la profondeur, et la longueur de lad[ite] rigole de Reuel,
[Réponse] Elle est de deux toises de baze, de quatre de gueule, de 9 pieds de profond, et de 19992 toises de longueur, scauoir depuis le pont Crouset Jusques au port Louis 1463 toises, et depuis led[it] port Louis Jusques aux naurouses 18529 toises.
[Question n°7] Pourquoy m Riquet fait construire des ecluses de bois sur lad(ite) rigole depuis le port Louis jusques au bassin de naurouses
[Réponse] Quoy que Je ne sois pas obligé de donner a ceste rigole que sept pieds de base, et 2 toises de gueule, Neantmoins Je lay mise a mes fraix, de deux toises de base, et 4 de gueule aux moindres endroits, et y fais construire des ecluses de bois pour la rendre nauigable. En veüe que quelque jour, elle sera poussée Jusques dans la riuiere D'agout, et communiquera par ceste voye, partie du Rouergue, Lalbigeois, et le Castrois, au grand canal, qui leur facilitera toute sorte de commerce.
[Je rappelle que le pied mesure 32,48 cm, et la toise 1,949 m].
D3 - fin 1670. Mémoire de Gaumon (Arch. du Canal, liasse n°13, pièce n°1).
La Riuiere de sor enflée de ces six autres riuieres entre dans le port de St Louis que Ion a faict au dessus de Reuel, elle y Vient par deux petits canaux, auant ce port est une petite Isle triangullaire quy faict Un asses bel omemant, Le port St Louis est Un bassin en Carré de Uingt Toizes de longueur et dautant de largeur, Il est fermé par des meurs de pierres de huict pieds despaisseur Il a deux descentes de pierres pour aller a leau, chacune dessente est de huict marches, cest Un ouurage acheUé, leau y est, et II y a de basteaux, Il feut dict sur les lieux quil y auoit cent douze toizes douurages en ce port, Il na este faict que pour la commodité du pais cest Un dessein entierement detache de celluy du Canal
D4 - 1672. Description de Froidour (p. 12-16).
Lorsque pour l'execution de l'entreprise on commença la Rigotte, on ne luy donna d'abord, tant au dessus qu'au dessous de Revel, que deux Toises d'ouverture, & une de largeur au fond ; parceque l'on n'avoit pas d'autre dessein que celuy de faire venir des eaux à Naurouze, pour les jetter dans les Canaux, qui doivent servir à la communication des Mers. Mais comme on a reconnu que toute la Plaine de Revel, & tout le Pays qui est aux environs, étoit abondant en toute sorte de grains, dont le débit étoit dificile, à cause des mauvais chemins ; Et que cette Rigolle pouvoit aysement s'agrandir, & se rendre commode pour la Navigation : Le Roy a voulu que le Pays profitât de cét avantage, & trouvât par ce moyen le debit de ses denrées, tantôt vers une Mer & tantôt vers l'autre ; Et qu'en contréchange, il pût être secouru des choses qui luy manquoient.
Pour cét effet on a élargy la Rigolle jusques à cinq Toises a l'ouverture, & jusques à deux Toises au fond, luy donnant une Toise & demye à deux Toises ou environ de profondeur; Et on a construit un Port à sept ou huit cens pas au dessus de la Ville de Revel, peu au dessous de la jonction des Rivieres dont on a assemblé les eaux. Ce port auquel on a donné le nom de Port S. Louis, est assis dans une plaine sabloneuse, où le charroy peut aborder facilement, & où l'on peut commodement tenir des reservoirs. C'est un Bassin carré de 21. toises de tous côtez, ayant dix à douze pieds de profondeur, contenu entre quatre murs de sept à huit pieds d'épaisseur, qui ne s'êlevent pas plus haut que le rez de Chaussée. 11 reçoit les eaux des Rivieres de la Montagne Noire par la Rigolle, qui se partagent en deux bras soixante Toises ou environ au dessus, les y porte par deux ouvertures ou embouchures, qui sont aux deux extrémitez du costé qui regarde la ville de Soreze ; De sorte qu'ils font une espece de fourche, au milieu de laquelle il y a une petite Isle triangulaire, dont la base aboutit au Bassin. L'on sort du Port dans la partie de la Rigolle, qui conduit à Naurouze, & qui prend au milieu du Bassin du côté de la Montagne ; Et on y descend pour charger les Batteaux, par un degré de huit marches du côté de la ville de Revel. l'y ay veu trois petits Vaisseaux, de la grandeur de ceux avec lesquels on pretend y commercer, ayant vingt-quatre pieds de longueur, & six de l'argeur par le milieu. La Navigation n'ira pas plus haut que ce Port, & elle se fera sur la Rigolle jusques au Bassin de Naurouze, qui est le point de partage. Mais parceque ce Canal n'avoit été fait d'abord, comme je vous l'ay déja fait remarquer, Monsieur, que pour y transporter les eaux de la Montagne, & que pour cela on luy avoit donné une grande pente, afin d'en rendre le cours plus rapide ; on s'est trouvé dans la necessité, pour le rendre navigable, de l'adoucir par le moyen de plusieurs Ecluses que l'on y a construites jusques au nombre de quatorze, qui de distance en distance, rompent le cours de l'eau. Toutes ces Ecluses sont semblables les unes aux autres, & ont toutes une Chambre ou un Bassin de vingt Toises de longueur entre deux portes, qui ont chacune six à sept pieds d'ouverture. Elles sont faites à la legere, les chambres n'étant ny murées ny palissadées, & tenant toute la largeur de la Rigolle sans aucun revestement ; Chaque porte seulement est soûtenuë de part & d'autre par des arboutans faits de grosses pieces de bois bien appuyées & enclavées dans le Terreplain, & il y en a seulement trois qui sont de maçonnerie, faites sur le modelle de celles qui sont de bois.
D5 - 1682. Description d'Andréossy dans Les Règles du jeu du canal Royal (p. 21).
[Le port-Louis est] revêtu de pierre de taille, il a à une de ses faces, un moulin à blé et un à scié : à deux autres, il a des degrez et à la dernière commence la rigole de la plaine.
D6 - 26 juillet 1684. Procès-verbal de l'intendant d'Aguesseau (in La Lande, p. 150).
Ce port où il y a six pieds d'eau, est un carré revêtu de pierre de taille dont chaque côté a vingt-une toises de long, avec deux escaliers à six marches du côté du Nord pour descendre jusqu'à l'eau.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Andréossy 1682 : François Andréossy - Les règles du jeu du canal Royal ; avec l'explication de tous les travaux qui composent ce grand ouvrage, MDCLXXXII, p. 21.
Froidour 1672: Louis de Froidour - LETTRE A MONSIEVR BARRILLON Damoncourt, Conseiller du Roy en ses Conseils, Maître des Requestes Ordinaire en son Hostel, Intendant de Justice, Police & Finances en Picardie. CONTENANT LA RELAtion & la description des Travaux qui se font en Languedoc, pour la COMMVNICATION DES DEVX MERS. PAR Mr. DE FROIDOVR, Conseiller du Roy en ses Conseils, Lieutenant general au Baillage de la Fere, Commissaire deputé pour la reformation generalle des Eaux & Forests de la grande Maîtrise de Toulouse, Toulouse, 1672, p. 12 à 16..
La Lande 1778 : Jérôme de La Lande - Des canaux de navigation, et spécialement du Canal de Languedoc, Paris 1778, p. 150.
J.L. Marfaing & al.: Canal Royal de Languedoc, Toulouse, 1992, p. 56-57.
RÉFÉRENCES D'ARCHIVES
Archives du Canal (les liasses de numéros supérieurs à 909 font partie des pièces comptables, dont l'inventaire est en cours).
Liasse n°13 - Pièces n°1 et 2.
Liasse n°576 - pièces n°1 et 2 (plans reproduits dans cet article). Liasse n°935 - Réparations du moulin au Port-Louis, avril 1673.
Liasse n°1006 - « Estat des voyages, port et voitures de deniers, et autres fraix faits pour les affaires du Canal depuis le mois de May 1669: jusques au dernier Juin 1671: ». Dépenses pour le bassin de Revel et les écluses de la rigole de la Plaine.
Liasse n°1037 - Ecluses de la rigole, 4 mars 1673 au 19 février 1674. Construction du « moulin resec » de Revel.
Liasse n°1050 - « Compte depuis le premier auril 1675 Jusques au dernier decembre 1676 / 7 ° compte » : Martellière du moulin de Revel, 1675.
Liasse n°1038 - Contrôles du port de bois de Port-Louis à Naurouze, jusqu'à l'écluse du Roc, 1673-1674.
Liasse n°1185 - Pièce n°17 - «Compte que Rend a monsieur de Riquet Jean duzerre pour la despence En deniers par luy faicte au canal suiuant les ordres ou mandemans de monsieur de contigny despuis le premier 86fe 1672 Jusques au » : bois envoyé par eau de Revel à Naurouze ; fondement du Moulin du Port Louis ; construction du « moulin a Cier ».
Liasse n°1187 - Pièce n° 5 - Matériaux du Port-Louis, 1669.
fig. 6 (ci-dessus à gauche) : La borne située à 11,65 m de l'ancien angle sud-ouest du bassin (1 octobre 1996).
fig. 7 (ci-dessus à droite) : Report sur le plan de 1750 de celui de 1668, et des principales lignes du plan cadastral actuel (le nord est en bas).
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